Le fouillis de Fernandez

scène dans un cimetière. Le temps est très nuageux et sombre, a la limite du pluvieux. Un petit groupe d'une quinzaine de personnes se trouve autour d'une tombe flambant neuve où reposent quelques bouquets de fleurs et une photo du défunt.

Prête : "Nous enterrons aujourd'hui Michaël Guerbert-Jubert, mort le 18 juin sur son lieu de travail. C'est en ces lieux que reposera son corps, et selon sa dernière volonté …"

La plupart des personnes autour de la tombe semblent écouter le prêtre sauf un duo à l'écart qui commencent à discuter.

Un mec de la fonda : "ca fait chier de le voir mourir si jeune. C'était vraiment un brave type, et un merveilleux collègue."

Frog : "C'est vrai que je l'imaginais pas mourir d'une telle manière … C'est triste à dire mais je pense que c'est mieux qu'il soit mort sur le coup. Une blessure pareille ça lui aurait tellement détruit son moral qu'il aurait sûrement mis fin à ses jours par lui même."

Une des personnes qui écoutait le prêtre se retourne face aux duo et marché vers eux avec une expression visiblement peu amicale. Elle est en rogne.

Fernandez : "non mais je rêve ?! Mais vous vous prennez pour qui pour pour penser ça ?!"

La personne ne prends même pas une seconde pour réfléchir avant de repondre

Frog : "Son Psychiatre"

La femme a un moment de confusion, semble perdue et finalement prends un air défaitiste.

Fernandez : "…Je vois, veuillez m'excuser."

La scène se coupe jusqu'à arriver plus tard dans un bar. La femme du début (Fernandez) regarde son verre d'une boisson visiblement sucrée et semble crispée. Une autre femme aux cheveux longs est assise auprès d'elle et semble lui tenir compagnie. Elle est visiblement très calme par rapport à l'autre femme et semble essayer de réduire l'état de stress de sa partenaire.

Fernandez : "'fait chier. Je comprends pas pourquoi ils ont ramené un prêtre catholique, il est resté agnostique toute sa vie !"

Petite amie: "Apparemment, il a vécu des choses qui l'ont convaincu de se convertir. Les gens changent, tu sais."

Fernandez boit un coup et repose le verre d'un grand coup avant de poser sa tête entre ses bras qu'elle a croisé sur le bar.

Fern : "Tch. T'facon, j'y crois absolument pas aux conneries qu'ils ont déballés durant cette cérémonie."

Petite amie : "Qu'est-ce qu'il y a ? Tu pense qu'il y a survécu d'une manière ou d'une autre ? Je sais que tu as du mal à vivre tout ça mais … On l'a vu, son cadavre. Toutes les deux."

Fernandez se relève brusquement.

Fern : "je parle pas de ça, merde ! Je parle de ce qu'il s'est passé ! Tout ce charabia qu'ils nous ont balancé, c'était juste pour nous faire cacher la vérité sur sa mort."

Des images d'animaux sauvages remplacent le bar pour illustrer les propos de la petite amie pour les cases suivantes.

Petite amie : "Je ne vois vraiment pas ce qu'il pourrait te faire douter. Un rhinocéros, c'est énorme. Se faire empaler par une corne pareille c'est pas improbable"

Fern : "Si. C'est impossible qu'il soit mort comme ça."

Petite amie : "Mais bien-sûr que si ! Rien qu'il y a deux mois, un employé du zoo de Beauval est mort après s'être approché trop près d'un gorille. Ce genre d'accidents, ça arrive."

Fern : "je te dis que non."

Petite amie : "mais qu'est-ce que t'as à être si bornée ?"

Retour au bar, où fernandez frappe violemment la table du bar en hurlant, faisant presque tomber les quelques objets se trouvant dessus.

Fern : TU M'EXPLIQUE COMMENT IL A PU SE FAIRE EMPALER SI LES ZOOS COUPENT LES CORNES DES RHINO ?!

Fern halète un peu, visiblement très touchée par la situation et semble au bord des larmes.

Petite amie : "Woaw, woaw… Calme toi Morgane. Ils ont peut être voulu camoufler un incident plus grave pour éviter de se faire choper… Peut être une poutre qui s'est détachée ? Ça arrive et c'est pas évident de se défendre face à un jury pour un truc pareil."

Fern souffle et semble se calmer un peu, mais sa colère se transforme visiblement en tristesse et en une détresse particulièrement aiguë. Au fil de son monologue, elle semble se dégrader mentalement.

Fern : "en cinq mois, j'ai perdu trois potes qui sortaient de la même promo que moi. Les trois ont été embauchés dès leurs diplôme en main, par trois entreprises ultra friquées dont personne n'a jamais entendu parler. Les trois dites entreprises, sur leurs cartes de visite, indiquent un putain d'immeuble comme lieu de travail. LE MEME immeuble. Et ne parlons même pas du fait que l'une des entreprises vendait des tartiflettes alors qu'on a tous été diplômé en biologie. Ces trois types sont morts en a peine deux ans, avec à chaque fois une excuse que n'importe qui pourrait trouver bidon s'ils avaient réfléchi un minimum !!"

Sa petite amie pose sa main sur son menton pour le gratter, signe qu'elle semble réfléchir un peu à la situation.

Petite amie : "c'est vrai que dit comme ça …"

Fernandez a l'air beaucoup touchée par la réaction de sa petite amie, et ce de manière positive.

Fern : "Tu vois ?! Toi aussi tu rends bien compte que c'est pas normal ?!"

Cependant, sa partenaire cherche à dévier la conversation et montre clairement qu'elle ne pense pas que tout cela soit véritablement anormal.

Petite amie : "ce dont je me rends compte, mon chaton, c'est que tu as perdu trois de tes meilleurs amis en moins de deux ans. Et je vois bien que tu es à deux doigts de craquer. Tu es juste épuisée parce que tu n'as pas eu le temps de faire un véritable deuil face à ces pertes et qu'elles continuent d'arriver de manière régulière. Je pense que tu devrais te reposer. Regarde toi, tu trembles."

Fern regarde sa main et se rends compte qu'elle tremble. Elle a un moment d'hésitation mais finit par s'avouer vaincue et lâche une petite larme.

Fern :" … Je… Je suppose que tu as raison."

Sa partenaire l'enlace tendrement et cherche à la réconforter avec un sourire.

Petite amie : "Personnellement, je pense que tu as besoin de te changer l'esprit. Rester dans ton mal-être ça risque de pas arranger les choses. Un bon resto, une douche et un câlin sous la couette ca te dit ?"

Fernandez se sépare du câlin, visiblement encore très touchée mais beaucoup plus souriante. Elle a des cernes, elle semble épuisée et cherche principalement à suivre le conseil de sa petite amie.

Fern : "… Allez. Mais je choisis le resto."

Les deux sortent du bar. Cependant, dehors se trouvent deux agents de la fondation qui choppent Fernandez et la droguent de force avec un mouchoir pour qu'elle tombe dans les pommes. Sa petite amie ne semble absolument pas réagir face à cela et observe la scène tranquillement. Un des deux agents tiens le corps évanoui de la femme tandis que le second semble chercher quelque chose dans sa sacoche.

Agent A : "bon, on lui administre un amnésique de classe A ou B du coup ?"

Soudainement, la petite amie semble bien plus aggressive et colérique qu'auparavant. Elle marche vers le garde qui tient sa partenaire et lui arrache des mains.

Meuf : "Vous vous calmez tout des suite, vous deux. De un, elle a peut être découvert l'existence de la fondation mais ça reste ma meuf. Si vous lui faites oublier mon existence, je me débrouille pour que vous finissez malencontreusement dans une salle de confinement d'un Keter. Deuxio, même si vous tentez de lui balancer de faux souvenirs ou d'effacer ce qu'il vous arrange, elle va s'en rendre compte a un moment donné. Si elle a repéré que quelque chose clochait aussi facilement, elle le fera encore."

Agent B : "du coup tu veux qu'on fasse quoi, Einstein ?"

Meuf : "… Le département de zoobiologie est pas en recherche d'un nouveau Doc depuis la mort du dernier ?"

Changement de scène. Fern se réveille et semble se trouver assise sur une chaise dans un bureau avec un homme en costard en face d'elle derrière une table. Il est particulièrement souriant et semble faussement sympathique.

M : "Ah, je vois que vous vous êtes enfin réveillée ! Je n'imaginais pas que vous prendriez autant votre temps. Bref. J'ai cru comprendre que vous avez déjà entendu parler de notre petite entreprise, tartiflette n co ? Nous sommes en recherche d'un nouveau biologiste suite à une tragique perte récente … Peut être seriez vous intéressée ?"

Fernandez prends une des cartes de visites sur la table et l'observe longuement. C'est une carte de la compagnie tartiflette n co qui, au dos, révèle des informations sur la fondation. Fernandez semble perdue et désemparée, tandis qu'une dernière image montre le cimetière du début où l'on remarque le symbole de la fondation gravé sur les tombes.

La solitude. Dit comme ça, ça paraît être pas grand chose. Pour être honnête, il y a beaucoup de problèmes que l'on a tendance à résumer à "pas grand chose". L'addiction a la caffeine, la dépression, les cris d'un gosse dans un bus qui te réveillent à sept heure du mat durant la sieste de ton trajet matinal … Bref. La solitude. C'était un mal qui s'étalait dans le temps, un malaise qui de manière générale ne se remarque que peu mais qui ne s'efface pas pour autant. Et de manière aléatoire, ce mal enfoui resurgit pour te labourer le corps de ses serres, te briser les os et le crâne, te paralyser tout autant qu'il t'anime d'une rage intense. Et ça, Grym l'avait bien vu au cours du temps. Il aura bien voulu utiliser une autre indicateur que "temps" pour définir plus en détail ce qu'il avait traversé … Mais si il devait être honnête, il avait arrêté de compter les jours il y a bien longtemps, étant donné qu'une telle chose ne lui servait que bien peu. Alors années, décennies, siècles … Tout ça était trop flou pour lui. Il préférait le terme temps.

La solitude aimait se manifester dans de multiples formes, toutes plus créatives les unes que les autres. C'était bien connu, le corps adorait tout particulièrement l'idée de s'autodétruire et semblait beaucoup apprécier tenter de nouvelles choses pour ce qui était de manifester une quelconque folie. Les crises étaient toutes différentes à leur manière. Quelques une de ces crises pouvaient être passées simplement en criant un bon coup. Simple et efficace. Certaines étaient expérimentées sous une vague de tristesse et de nostalgie intense. Grym était bien souvent désemparé face à celles-ci. Il n'avait personne pour le rassurer, juste la petite voix dans sa tête répétant des pensées futiles ou hostiles envers sa personne. En général, elles finissaient par passer après quelques jours à pleurer dans un endroit calme. Cependant, elles laissent bien souvent un goût amer et avaient tendance à revenir plus rapide que prévu. Enfin, certaines étaient juste des excès de rage pur, où la seule chose que pauvre bougre pouvait faire était crier et détruire. Souvent se détruire lui même. C'était bien plus satisfaisant sur bien des points. Un rocher pouvait se briser en deux, être peut être un peu abimé par des frottements mais c'était toujours une même consistance à détruire. Trop banal. La peau, les tendons et la chair avaient la chance d'être plus malléable, et malgré la douleur qu'elles provoquaient quand Grym se les arrachaient pour la énième fois de sa vie, le résultat prouvait être bien plus efficace pour calmer sa rage. De plus, il finissait bien souvent avec ces restes de lui même sous la main, pouvant les utiliser à sa guise. Truc amusant, un coeur avait les mêmes propriétés qu'une balle anti-stress. Il aurait aimé partager cette information. Avec qui ? A ce niveau là, il s'en foutait. Juste quelqu'un. Histoire qu'il ne soit plus la seule personne à posséder ce savoir. La solitude c'était aussi ça. Il pouvait créer des souvenirs par lui même de temps en temps. Sauter des chutes du Niagara ça avait été relativement marrant. Voir un volcan exploser et sentir de la lave sur son corps aussi. Mais avait toute chose, il aurait aimé parler de ça à quelqu'un. Une personne, n'importe laquelle, qui aurait pu l'écouter.

Grym avait eu de très nombreux amis à travers les âges. Certains l'avaient marqué plus que d'autres. Mais de ces jours, il n'existait quasiment plus de traces de leur existence. Ils n'étaient pas juste mort. Leurs souvenirs s'étaient autant désagrégés que leurs restes. Neremsa … Ça aurait été un mensonge de dire que dans des excès de folie, Grym n'avait pas essayé de retrouver son corps. Il revenait autour de l'endroit où son enterrement avait eu lieu. Mais il n'y avait plus aucune tombe. Il n'y avait plus de cimetière ni de ville non plus, s'il devait être honnête. Il avait gratté la terre jusqu'à retrouver des petits ossements, mais jamais il ne put confirmer leur lien avec son meilleur ami. Après tout, son seul signe distinctif, sa prothèse en acier, avait été arrachée il y a bien longtemps pour la fondre et refaire des objets quelconque.

Après un temps, Grym a cessé de savoir si l'homme en lui même lui manquait, où s'il désirait juste désespérément trouver quelqu'un pour lui foutre une claque pour le remettre en place de temps en temps tout en sachant le faire sourire. C'était peut être juste ces souvenirs, ces rires et cette complicité qui lui manquaient, pas l'homme en lui même. Cette idée le répugnait tout particulièrement. Sûrement parce qu'il s'était attaché à lui comme un con en sachant qu'il partirait sans qu'il ne puisse être rejoint. Comme Caitlyn. Comme Benji. Comme … Comme trop de gens, tout compte fait. Il n'aurait jamais dû s'attacher autant. C'était une évidence qu'il allait finir comme ça, tout seul, incapable de mourir mais tout a fait capable de sentir sa détresse mentale grandissant toujours un peu plus d'une manière ou d'une autre. Il aurait dû vivre une vie avec des gens particulièrement con. Peut être qu'il aurait mieux vécu ce genre de moments de solitude.

Parce qu'après tout, ce qui le faisait souffrir n'était pas d'être seul par lui même. C'était d'avoir connu la joie et de savoir qu'il ne pourrait plus jamais y accéder.

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